Re.Voir H.

Gaëtan Chevrier

Exposition : 20 mai - 25 juin 2023
Vernissage : samedi 20 mai de 18h30 à 21h00
Ouvertures :
DU SAMEDI AU DIMANCHE 10H-12h30 / 16H-18h30
sur RDV : 06.64.84.06.01 / contact@hasy.fr

En novembre 2013, nous nous installons à Hong Kong avec ma compagne pour une durée de six mois. Lors de ce séjour naissent les premières images qui, pour certaines, construiront le socle d’une série au long cours intitulée À l’origine.

En 2015, à l’invitation de la galerie HASY, je présente les premières recherches photographiques issues de ce séjour.

Deux autres voyages suivront, en 2016 , puis 2017, permettant de nourrir le corpus de départ et d’affiner le propos.

“À l’origine” est le fruit de multiples sessions de marche à travers le territoire afin d’en ressentir le pouls et la complexe relation entre le végétal et l’urbain.

Dix ans après, Re.voir H. montre la suite et fin de ce travail, au travers d’un accrochage pensé spécifiquement pour la galerie.

Les tirages photographiques d’un Hong Kong contemporain se mêlent aux sérigraphies sur bois réalisées à partir d’archives d’un Hong Kong du début du XXème siècle, prémices d’une future expansion urbaine.

Re.voir H. vient en résonance avec le livre publié aux éditions Sur la Crête en décembre 2022.

Cette exposition a également été envisagée comme un temps de recherches et d’expérimentations avec Thierry Merré, directeur de la galerie. La seconde série présentée, “Dédale”, est le fruit d’une relecture de quelques pistes non explorées, l’occasion de s’immerger dans mes archives photographiques issues des différents séjours à Hong Kong. Cette série de cinq pièces met en avant des fragments urbains, saisis dès la prise de vue et évoquant une sensation de désorientation, de perte de repères, renforcée par l’enchevêtrement des formes et des masses.

L’exposition a été produite avec le soutien du département de Loire-Atlantique.

Hong-Kong - (Im)plantations

Etendard de l’économie capitaliste de la fin du 20e siècle, Hong-Kong est tout autant intrigante que perturbante, interrogeant les manières dont les hommes établissent leurs milieux de vie. Bouillonnante d’énergie économique, elle est un fragment de notre planète ultra artificialisé sur lequel les immeubles poussent de manière dense et foisonnante ; la surface terrestre y est terrassée, remblayée, talutée à grands coups de travaux pharaoniques.

La cité-état, qu’elle a longtemps constituée, a été façonnée par la géographie du capitalisme mondial. Colonie britannique pendant 150 ans, rétrocédée à la Chine en 1997 en préservant un statut de région administrative spéciale censé fonctionner jusqu’en 2047 sous l’adage du système imaginé par Deng Xiaoping « un pays, deux états », elle est aujourd’hui la proie d’un tiraillement géopolitique pour lequel les hommes et leurs libertés sont mis à rude épreuve.

Indiscutablement cette mégalopole porte en elle une vitalité intrinsèque liée à la modernité productive reposant sur la fonctionnalité, l’efficacité, la rentabilité, la mobilité ; mais elle est aussi une histoire de paysages, d’implantations et de cohabitations complexes.

L’énergie que dégage cette ville trouve avant tout son origine dans les mouvements qui la traversent : les parcours de ceux qui y travaillent, qui y vivent, qui s’y croisent, les constructions qui montent au ciel, se succèdent, s’étagent, s’agrippent aux parois et aux sols artificiels, le végétal – du lichen à l’arbre - qui louvoie pour réussir à se trouver ou à garder  une place dans cette conurbation immense, les bateaux qui font des allers-retours incessants entre les rives de Kowloon et de l’île de Hong Kong, les routes qui perforent par des lignes tendues le couvert végétal et s’insinuent entre les densités bâties, les fenêtres qui s’égrènent à l’infini et laissent présager d’une mosaïque de regards surpeuplés.

L’histoire de cette île est celle d’un morceau des rives de la mer de Chine, décrite, par les Anglais qui en prennent possession au milieu du 19e siècle, comme un rocher dénudé aux collines herbeuses et boisements arbustifs sporadiques autour des quelques villages qui la peuplent. Pendant un siècle, les hommes s’attèleront à y planter des arbres, notamment des Pinus massonias, à des fins d’exploitation ou de stabilisation des reliefs enclins à l’érosion. Et puis, cette île redeviendra caillou pendant la 2nd guerre mondiale, presque tous les arbres des collines de l’île seront abattus pour fournir du combustible pendant l’occupation japonaise. Une politique de reforestation reprendra après-guerre.

Le boisement de Hongkong et la fabrication de ces infrastructures et colosses de béton trouvent finalement la même origine : l’intervention humaine. Ce peuple d’arbres et de travailleurs en exode venus bâtir le futur empire financier fabriquera, dans la 2nd partie du 20ème, le paysage singulier que nous lui connaissons aujourd’hui.

Sur l’île de Hong Kong, les routes bitumineuses s’arrêtent en impasse, butant sur les escarpements des reliefs, elles se transforment en escaliers, en chemins puis en sentiers. La végétation engrillagée du bord des rues se trouve alors peu à peu libérée : arbustes, fougères et taillis reprennent de l’aisance et dans un même élan le ciment et les traces d’artificialisation s’estompent, seuls restent les échos urbains.

Dans un jeu de partition du temps et des espaces, le monde urbain colonise toujours davantage les escarpements, mais au même moment, le monde végétal dans un mouvement d’insinuation presque contraire poursuit son faufilement dans la moindre anfractuosité. 

Que nous dit cette immense conurbation des rapports de l’homme à la nature : témoignage exacerbé d’une attitude naturaliste et dualiste pour laquelle l’homme réitère sans cesse sa conquête sur la nature ou entremêlement du vivant aux interfaces complexes ?

*

En botanique, un habitat naturel est constitué de deux entités : le biotope, ensemble des éléments physiques et chimiques d’un milieu et la biocénose, ensemble des êtres vivants et des liens vitaux qu’ils entretiennent entre eux.

L’habitat existe parce qu’il met en lien.

Et nous, nous n’existons qu’en relation, nos habitats en sont le support, ils permettent les interactions et les échanges, de l’effleurement à la persistance.

La conquête humaine sur la peau du monde suspend souvent toute possibilité de cohabitation avec les autres vivants mais aussi entre les hommes eux-mêmes. La question urbaine du projet expansionniste moderne a été celle des fragmentations et séparations qui précisément rend aujourd’hui inhabitable une partie de la planète.

Il nous faut aujourd’hui apprendre à vivre et à cohabiter avec cette réalité abîmée et, à partir d’elle, œuvrer pour créer les conditions d’une ré-habitation du monde qui prend soin des relations.

Faire état du déjà-là, ne plus fabriquer à partir de l’effacement, prendre acte de ce qui est, faire à partir de ces milliers d’infrastructures, de tunnels, de voiles de béton, de trajectoires de réseaux, de creusements et de ramifications, d’étagements superposés en sortant de ces décennies qui ont détruit et arasé pour reconstruire à partir du vide ; c’est ainsi que se joue l’à-venir de nos mondes habités.

Continuer à vivre et à habiter le monde à partir du plein que nous avons érigé en arrêtant de détruire mais également de s’étendre, en osant recomposer à partir de ce qui est en place. Il ne s’agit pas ici de tout conserver de manière statique mais plutôt d’agir dans le mouvement en envisageant la création par la réparation, l’ablation et la transformation.

Cette attitude attentive et créatrice, à partir des artificialisations existantes, ouvre un champ infini de nouvelles possibilités de cohabitations.

La beauté surgira de nos capacités à tisser de nouvelles habitabilités à partir d’un monde complexe, détérioré et malmené, paradoxalement composé d’objets solitaires et de réseaux globalisés.

La géographie de Hong Kong est une dentelle délicate et escarpée façonnée depuis des millénaires, un appareillement d’eaux et de montagnes, condensé de la pensée paysagère chinoise établie à partir de polarités : l’inanimé et l’animé, le solide et le liquide, le haut et le bas, le massif et le léger, le dedans et le dehors.

En l’espace de quelques décennies, l’homme a rompu cet équilibre.  D’où vient cette insidieuse animosité qui ne permet pas le dialogue entre ce qui est là et ce qui est à venir ?

Indéniablement les reliefs pentus de la péninsule hongkongaise ont ralenti la progression humaine, mais lorsque l’action colonisatrice de l’homme se trouve entravée, il la déjoue et, dans un double mouvement, imagine d’autres solutions pour continuer à s’étendre : déblaiement et aplanissement des territoires les moins escarpés d’un côté et remblaiement et géométrisation des rives côtières pour s’étendre sur la mer, de l’autre.

Ces nouveaux façonnages annihilent, dans un premier temps du moins, toutes formes de cohabitation du vivant. Pour autant nous ne laissons pas place au désespoir, car toujours le monde vivant nous surprend et souvent là où on ne l’attendait pas : partout des couches de béton se fissurent et ces peaux artificielles, en se craquelant, laissent apparaître la vie par les graines et les croissances qui y surgissent.

 

A Hong-Kong, sous un climat subtropical, le bitume et la mousse, les gratte-ciels et les pins, les fondations et les racines s’établissent dans un rapport relationnel souvent en tension. En tentant des rapports de coexistences et d’entremêlements qui tour à tour se supplantent l’un l’autre, ces cohabitations nous rappellent qu’à l’origine il y a ce qui nous rend vivant.

Maëlle Tessier, mai 2022

Présentation auteure

Le parcours professionnel de Maëlle Tessier se situe à la croisée de la recherche, la pratique et l’enseignement de l’architecture : Architecte praticienne et co-gérante de l’agence tact architectes à Nantes, Professeure à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes de Théorie et Pratique de la Conception Architecturale et Urbaine, Docteure en histoire de l’architecture contemporaine depuis 2012 et engagée dans une HDR au sein du laboratoire GERPHAU depuis début 2018.

Le sociologue et chercheur Jean-Yves Petiteau dans le marais de Malakoff à Nantes (2004), photographie Gilles Saussier

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